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Movember : Où sont passés les hommes, les vrais ?

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Chaque année, Novembre Bleu remet en avant la santé des hommes.


Pourtant, aborder la prévention masculine implique de dépasser les approches génériques pour prendre en compte ce qui façonne réellement les comportements de santé : les déterminants sociaux, les normes de masculinité, le rôle historique des femmes dans les stratégies de prévention, et l’émergence récente d’un nouveau modèle masculin, plus ouvert aux questions de santé, de vulnérabilité et de bien-être.


C’est ce croisement — social, culturel et sanitaire — qui permet d’expliquer pourquoi les hommes adhèrent moins au dépistage, consultent plus tard, s’exposent davantage aux risques et expriment rarement leurs difficultés.


1. Les déterminants sociaux de santé : un prisme indispensable

Les déterminants sociaux de santé (conditions de vie, d’emploi, statut socio-économique, environnement culturel ou normes sociales, ...) influencent une part considérable des résultats de santé selon l’OMS (jusqu’à 55 % selon les données consolidées). Ils influencent l’exposition au risque, l’accès aux soins, la capacité à demander de l’aide et la manière dont un individu perçoit sa propre santé.


Pour les hommes, ces déterminants interagissent avec un autre facteur central : les normes de masculinité, qui structurent le rapport à la vulnérabilité, à la douleur, à la demande d’aide et à la prévention.


2. Les masculinités : un facteur de risque sanitaire documenté

La littérature scientifique est claire : les normes de masculinité traditionnelles constituent un facteur de risque en elles-mêmes.


Selon Addis & Mahalik, l’injonction masculine au contrôle, au silence émotionnel et à l’autonomie empêche les hommes de demander de l’aide, y compris face à des symptômes graves [Addis et Mahalik, 2003]. La revue publiée dans l’American Journal of Public Health montre également que les normes dites de « dureté », de prise de risque et de rejet de la vulnérabilité augmentent directement la mortalité masculine [Fleming, 2014].

Des travaux plus récents confirment cet effet. L’étude de Sileo et al. montre par exemple que les hommes adhérant le plus fortement à la norme « toughness » utilisent moins les services de santé mentale [Sileo et al., 2020].


Ces normes expliquent en partie pourquoi les hommes :

  • retardent les consultations ;

  • se sentent moins légitimes à exprimer une inquiétude ;

  • utilisent davantage l’humour ou la dérision comme mécanisme d’évitement ;

  • adhèrent moins au dépistage, surtout lorsqu’il touche à l’intimité (côlon, prostate, seins, santé sexuelle, ...)


Cette réalité rend les stratégies de prévention masculines particulièrement sensibles à leur contexte social et culturel.


3. Passer par les femmes : une stratégie longtemps dominante… aujourd’hui remise en question

Pendant des décennies, une grande partie des politiques publiques — y compris certaines recommandations de l’OMS ou des programmes nationaux — a reposé sur une stratégie simple : mobiliser les femmes pour atteindre les hommes.


Cette approche partait d’un constat solide : les femmes consultent davantage, surveillent plus étroitement la santé du foyer et jouent souvent un rôle de facilitatrices. De nombreuses campagnes d’hygiène de vie, de nutrition, de dépistage ou de vaccination ont ainsi été construites pour que les femmes « entraînent » les hommes dans le parcours de soin.

Mais cette stratégie a aujourd'hui deux limites majeures.


D’abord, elle repose implicitement sur une division genrée du travail de soin qui décharge les hommes de leur responsabilité sanitaire. Ensuite, elle empêche d’adresser les hommes en tant que sujets autonomes, capables d’adhérer à la prévention sans médiation féminine.

À cela s’ajoute un renversement culturel récent, qui modifie profondément la manière dont les hommes parlent de santé : l’émergence d’un nouveau modèle masculin médiatisé.


4. L’évolution des modèles virils : quand santé, prévention et vulnérabilité deviennent des marqueurs masculins

De nombreuses célébrités, en France et à l’international, incarnent aujourd’hui un virage sociétal : elles valorisent la santé, la discipline, la prévention, le bien-être mental et même la vulnérabilité comme des composantes de leur identité masculine.


Terry Crews évoque publiquement son addiction, sa thérapie et la manière dont il reconstruit sa masculinité. Dwayne Johnson parle ouvertement de ses épisodes dépressifs dans les médias internationaux. Ryan Reynolds raconte ses crises d’anxiété.


En France, Antoine Griezmann, Bob Sinclar, Omar Sy, gad Elmaleh ou encore Pierre Ninney abordent la santé mentale, la santé publique, les habitudes de vie saine, Movember et la prévention des cancers masculins avec une ouverture encore rare il y a dix ans.

Ces figures font évoluer le modèle masculin dominant.


Elles déplacent la virilité d’un registre ancien — celui du « cow-boy playboy », fort, silencieux, cigarette à la main, bière et steak-frites pour identité — vers une virilité contemporaine où :

  • prendre soin de soi devient un acte de responsabilité ;

  • parler de sa vulnérabilité devient un geste de maturité ;

  • consulter n’est plus perçu comme une menace pour l’identité masculine.

Cette évolution change profondément les opportunités de prévention.


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5. Movember : Vers une prévention masculine réellement ciblée et fondée sur les discriminants de population

Une prévention efficace auprès des hommes ne peut donc être neutre. Elle doit tenir compte :

  • des déterminants sociaux ;

  • des normes culturelles masculines ;

  • de l’environnement et des métiers ;

  • des modèles de rôle ;

  • et des réalités propres à chaque population masculine.

C’est précisément l’approche que nous défendons chez Lucky Link.


6. La contribution de Lucky Link : une prévention qui part du réel des populations masculines

Les missions que nous menons montrent à quel point la prévention masculine nécessite des stratégies ciblées, ancrées dans les conditions de vie et dans les normes culturelles propres à chaque groupe.


Lorsque nous avons travaillé avec la MSA sur la santé mentale des agriculteurs, nous avons immédiatement constaté que leurs vulnérabilités ne peuvent se comprendre qu’en tenant compte de leur environnement professionnel, de leur isolement géographique, du poids symbolique du métier et du rapport à la virilité rurale qui valorise l’endurance silencieuse. Dans cette profession — la plus touchée par le suicide en France — la capacité à demander de l’aide est souvent entravée par les normes de genre autant que par les contraintes de travail.


Quelques mois plus tard, en accompagnant la Fondation April sur la santé mentale des jeunes, nous étions dans un univers radicalement différent. Là, la vulnérabilité s’exprime davantage mais sous d’autres formes : anxiété, pression sociale, exposition numérique, identité en construction. Les modèles de rôle ne sont plus les mêmes, les canaux de communication non plus, les leviers d’adhésion non plus. Ce qui fonctionne pour les agriculteurs ne fonctionne pas pour les jeunes, et inversement. Il nous a fallu creuser le sujet des biais cognitifs et des Nudges pour proposer des méthodes innovantes pour aborder ces sujets de prévention auprès des jeunes.


Enfin, avec la MSA Picardie, dans le cadre de notre dispositif visant à améliorer le dépistage organisé du cancer des personnes en situation de handicap, nous avons constaté un phénomène très révélateur : la quasi-totalité des référents ESMS chargés de la prévention étaient des femmes. Les collègues masculins, bien que bienveillants, étaient souvent plus difficiles à mobiliser, particulièrement lorsqu’il s’agissait de parler de dépistages touchant à l’intimité (sein, col de l’utérus, côlon). La parole masculine sur la santé reste, dans certains contextes, entravée par la peur d’être gêné, par l’humour comme mécanisme de défense ou par une difficulté à aborder frontalement les sujets corporels.


Ces trois projets, pourtant tous centrés sur la prévention, montrent une évidence : il n’existe pas « une » santé masculine, mais des masculinités situées. Et leurs besoins ne peuvent être compris qu’en analysant les déterminants sociaux et culturels propres à chaque population.


C’est cette vision qui guide l’action de Lucky Link : concevoir des dispositifs de prévention contextualisés, fondés sur les discriminants de population, ancrés dans la réalité des hommes que nous cherchons à toucher — et non dans une fiction universelle du « public masculin ».


Sources citées dans l’article


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